Disait-on souvent à la belle Tara, jeune épouse du Palais de l’Ouest, lorsqu’on lui parlait de son fils. Et c’était bien vrai. Son premier garçon est encore à ce jour, d’une beauté troublante, de part la délicatesse sensuelle de ses courbes, jusqu’à la rareté ethnique de ses traits. Que ce soit avec ses cheveux blonds, rappelant la chaleur du soleil. Ses yeux clairs : deux billes océanes qui vous plongent dans des mers tropicales aux reflets pétillants de rêveries et d’une nostalgie non feinte. Ou bien sa peau claire, qui se rose timidement, et dont la sensibilité et la douceur extrême l’oblige à préférer les endroits frais et ombragés.

Cet être délicat est souvent le sujet de songes, qu’ils soient médisants ou enjôleurs. Beaucoup de femmes jalousent les arabesques de son corps presque androgyne, se moquant du galbe de ses cuisses et de ses fesses rebondies. De sa chair, douce et tendre, son corps exempt de toute musculature marquée ou virile, sa taille modeste – il ne dépasse que très difficilement le mètre soixante-six – et qui apporte pourtant à sa silhouette une volupté et un équilibre captivant. Des caractéristiques qui, à contrario, éveille chez les hommes des pensées souvent érotiques voir déviantes.

De part son métier et son éducation raffinée, les gestes de Sahrane sont toujours gracieux et maîtrisés, son équilibre est toujours parfait, soutenu. Sa démarche, patiente et fière, ne manque pas d’être souvent remuée par une pointe d’allégresse et d’enthousiasme que lui offre son jeune âge.

Ses tenues sont souvent courtes et affriolantes, étant donné le contexte dans lequel il évolue. Toujours recouvert de voiles, de rubans et de bijoux divers, ses vêtements se contentent de cacher l’essentiel, le reste se devinant sous les matières fluides et la transparence, laissant libre court à l’imagination impétueuse de ses nombreux clients.

Sahrane est un éternel romantique, qui pendant seize ans a été bercé par les contes et les histoires merveilleux et chevaleresques. Extrêmement proche de sa mère, malgré la séparation inéluctable qui les attendaient tous deux, il a développé des sentiments et désirs assez féminins, bercé par les fantasmes impossibles de sa génitrice et ses confidences sans tabous. Tout comme Tara, le blond rêve d’une idylle passionnée et sensuelle, capable de résister aux viles péripéties d’une existence troublée par les difficultés d’un monde assez abrupt et le lot d’imprévus qu’il transporte. Un amour éternel et fidèle, une promesse immuable qui viendra égayer et rassurer son quotidien. Et contrairement à sa mère, Sahrane se voit offrir la chance de se complaire dans une telle destinée.

Ses rêveries et fantasmes naïfs et utopiques d’une romance absolue l’ont rendu à la fois intouchable et capricieux. Monsieur sait exactement ce à quoi son cœur et son corps aspirent, et ce qu’il ne souhaitent pas. Bien qu’il ait choisi un métier au service des hommes, éveillant chez eux désirs et obsessions, il n’en reste pas plus accessible, bien au contraire. Il manipule les envies, dirigent les pulsions, stimulent les imaginations mais jamais ne se laisse toucher ou s’abandonne aux plaisirs charnels. Il s’amuse presque de ses charmes, aime en jouer dangereusement, s’excite parfois des réactions passionnelles ou envieuses que ses clients peuvent avoir, sans avoir l’autorisation de les assouvir. Le résultat sera toujours le même. Sahrane se préserve et laisse le feu qu’il a déclenché s’éteindre sans plus jamais intervenir.

Il sait ce qu’il veut et a une très forte estime de lui-même. Élevé dans le Palais de l’Ouest, il a passé plusieurs années à étudier les livres, la musique et les arts avec beaucoup d’entrain et de sérieux. Intelligent et sensible, le jeune danseur se permet certaines exigences vis-à-vis de son confort, que cela plaise ou non. De toute évidence, il se montrera toujours persuasif, que ce soit avec les gestes ou les mots, pour ranger les uns ou les autres à son avis. Il a cette façon de manipuler avec gentillesse, mélange de paroles sages ainsi que de sourires aimables et charmants.  Mais pour lui ce genre de pratiques n’est pas malhonnête, sa démarche étant toujours sincère.

Sahrane ne supporte que très difficilement l’idée de ne pas avoir les faveurs de ceux qu’il côtoie. Ses dernières années au Palais où il subissait le mépris de la plupart des femmes l’ont rendu assez réceptif à la façon dont les autres pouvaient le percevoir. Il fait de son mieux pour ne jamais être détesté et la frustration est bien le seul sentiment déplaisant qu’il s’autorise à faire naître dans le cœur des hommes. Le moindre autre mal qu’il infligera involontairement, il s’empressera de faire son possible pour soulager les maux imposés, avec attention et patience. De manière générale, sa faible constitution aide aussi à le persuader de ne jamais se mettre les gens à dos, car dans certaines situations, la force de son esprit ne serait pas capable de lui en venir en aide.

S’il y a une chose dont laquelle Sahrane peut se vanter – autre que sa beauté angélique presque irréelle – c’est que son existence a, jusqu’à ce jour, été incroyablement sereine et gratifiante. Élevé par une mère aimante et complice, qui lui a enseigné, avec l’aide des eunuques du Palais de l’Ouest, les choses les plus intéressantes et divertissantes de la vie, ainsi que raconté les histoires les plus fabuleuses et romanesques qui soient, le garçon n’a jamais eut à se plaindre du petit cocon dans lequel il s’est vu grandir.

De sa naissance à l’âge de son départ du Palais, Sahrane a fait l’objet de beaucoup d’attentions – parfois jalouses et mauvaises, surtout en prenant de l’âge. La position de Tara, sa génitrice, n’était pas négligeable au sein de ce berceau gigantesque. Malgré son jeune âge et le fait qu’elle n’en soit qu’à sa toute première grossesse, cette fille tout juste sortie de l’adolescence était d’une sublimité particulière et resplendissante, qui lui attirèrent les faveurs et les attentions de bon nombre de personnes. Son enfant, qui hérita de sa superbe, ne manqua ainsi pas de recevoir le même intérêt et se vit offrir un certain confort en grandissant.

Très sérieux, enthousiaste et volontaire, Sahrane se fit autant remarquer par sa beauté que par son caractère ravissant et attachant. Il savait se faire apprécier de beaucoup, même s’il en énerva d’autres de part cette aura candide de perfection qui émanait de sa bouille blonde. Personne pourtant, au palais, ne lui fit jamais ouvertement part de sa haine, chacun préférant se plier à l’hypocrisie, qui n’était pas longue à supporter. Ce n’était un secret pour personne, que chaque enfant né garçon finirait bien par devoir quitter les lieux, alors on supportait Sa Perfection aussi longtemps que nécessaire, ne la troublant jamais par autre chose que des regards en coin ou dédaigneux.

Le jour de ses seize ans, marquant son départ pour un inconnu finalement familier – grâce à l’histoire qu’il avait apprise – l’émotion fut vive entre Tara et sa progéniture. C’était un mélange d’appréhension, d’excitation et de tristesse. La jeune mère, bien que profondément et sincèrement affectueuse envers son garçon, avait toujours réussi à ne pas lui faire oublier qu’un jour où l’autre, leurs destinées les forceraient à prendre des chemins différents. Les larmes et les embrassades furent présentes, mais brèves. Sahrane et sa génitrice partageant la même euphorie à l’idée que le plus jeune puisse découvrir le monde.


Ce discours émouvant fut les dernières paroles qu’adressa Tara à Sahrane, qui pu quitter le palais avec quelques piécettes grâce aux pouvoirs de persuasion de sa mère et à l’égard qu’on lui avait offert toutes ces années. Cet argent lui servit à se louer un transport protégé jusqu’à la grande ville la plus proche mais aussi la plus impressionnante : Assima. Sa première journée dans la capitale fut proche du rêve éveillé, venant chambouler les fantasmes du garçon. Sahrane découvrit la mer dont-il avait entendu qu’elle était aussi claire et bleue que l’iris de ses yeux. Il s’habitua à la présence des hommes, qui n’étaient qu’en faible minorité au Palais, découvrant et étudiant leurs charmes avec curiosité et émoi. Puis il se mit en quête d’un travail, ce qui fut un des nombreux conseils inculqués par Tara. « Plus personne ne sera en mesure de s’occuper de toi, si ce n’est toi-même. Montre-toi courageux et persévérant. Uses de tes charmes et de ton intelligence pour qu’au plus vite tu puisses trouver un endroit sûr et confortable dans lequel tu pourras t’épanouir. » lui avait-elle expliqué.

La chance voulu que le travail trouva Sahrane, et non l’inverse. En passant près d’une belle bâtisse dans un quartier très sensuel, saturé par l’odeur de parfum et de plaisir, le blond fut repéré par un homme qui loua sa beauté envoûtante et particulière, ajoutant que de telles qualités pourraient lui permettre de vivre assez aisément, s’il les utilisaient avec esprit. Séduit par l’idée, le garçon se laissa convaincre pour faire un tour du propriétaire, découvrant la fameuse occupation à laquelle on voulait l’employer. Le charme, l’érotisme et le sexe étaient les piliers de cette maison uniquement destinée aux plaisirs de la chair. Bien que cet environnement lubrique piquait fortement l’attention du jeune, ce dernier ne se sentait nullement l’envie d’offrir son corps aux étrangers. Il savait tout du sexe et de sa signification, n’y avait pourtant jamais goûté lui-même, et ne voulait pas y être contraint avant d’avoir trouvé une personne avec qui il estimait nécessaire, spirituellement parlant, d’avoir de tels échanges. Pour autant, s’imaginer charmer les hommes n’était pas une réflexion qui le déplaisait complètement. Un dessein germa dans son esprit. Il demanda :


La réponse fut oui, il fallait bien occuper leurs invités particuliers. Ravi, le plus jeune s’enthousiasma. Il avait une proposition à faire, mais ne pourrait pas la faire à n’importe qui.

Il rencontra Selim, le maître des lieux. Un homme aussi intimidant que charismatique, dont l’assurance et l’implacabilité réussirent à subjuguer et à la fois rassurer l’adolescent, qui n’avait jamais eut affaire à un être aussi viril. Malgré cela, il ne se démonta pas face au brun, et c’est avec un sourire paisible et confiant, qu’il exposa son idée : son corps resterait intact, tout en étant un outil du désir, comme il était coutume de faire dans cet endroit. Il se vendrait, mais non pas en caresses. Seulement en dansant. La musique l’avait accompagné de manière régulière pendant seize ans, seize années qu’il avait passé entouré de femmes avec lesquelles il avait toujours eu une affinité certaine. Il savait se mouvoir au rythme des cordes et des percussions aussi lascivement qu’une femelle et avait même parfois reçu des cadeaux inattendus de la part de ses camarades du même sexe, ou des quelques hommes de passage au Palais après avoir dansé innocemment sous leurs yeux. Il se savait capable de pouvoir faire naître ou satisfaire le désir de quelqu’un, juste en s’agitant gracieusement et sensuellement sous son regard.

Selim accepta sa requête, en insistant bien sur sa seule condition : il ne garderait Sahrane que si ce dernier réussissait à lui rapporter autant d’argent que n’importe quel homme qui ici, vendait son corps de manière plus intime. Et, c’est ce qu’il fit. Se surprenant d’ailleurs lui-même de son efficacité. Au tout début, le blond se contentait de divertir les clients comme une espèce d’amuse-bouche avant le plat de résistance. Puis au fur et à mesure, de plus en plus d’hommes se fidélisèrent à ses performances aussi alléchantes qu’artistiques, payant pour des spectacles et séances privées, parfois ne se déplaçant que pour venir voir cette merveille hors d’atteinte se déhancher avec érotisme devant leurs prunelles emplies d’envies et de désirs, attisé par cette friandise parfaite qu’ils ne pouvaient pas croquer. Une frustration délicieuse qu’il entretient dans le cœur et le corps de ses clients depuis plus d’un an déjà et qui lui assure une place confortable au sein de la maison close la plus réputée d’Assima.

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